mardi 8 janvier 2008

Le temps des rebellions: Constance Markievicz ou quand l'Irlande voyait rouge


En ces temps troublés où on se sent parfois perdu face aux nouvelles orientations du monde, voici une lecture porteuse d’inspiration, d’énergie, de ferveur, d’audace : Constance Markievicz by Anne Haverty (an anglais) ou Constance ou l’Irlande de Anne Pons et Malcy Ozannat.

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Née en 1868 dans une famille anglo-irlandaise protestante, dans le Comté de Sligo (celui des Yeats, voisins et amis), Constance suit les traces de son père, excentrique aventurier qui joue avec sa richesse à se désennuyer aux quatre coins du globe. Rebelle de la premiére heure, ce n’est qu’à l’arriveé de la trentaine qu’elle décide de sacrifier aux conventions du mariage, et épouse un comte polonais. Malgré les résistances familiales, elle tente de vivre de son art. Peintre, auteur de théatre et productrice respectée en son temps, sa carrière artistique nous donne les clés des racines culturelles de la révolution d’indépendance de l’Irlande. On rencontre au fil des pages les Yeats, George Russell (AE), James Joyce, JM Synge, George Moore, Maud Gone, Lady Gregory. On assiste à la naissance des sociétés d’artistes où se façonne l’éveil celtique et la mystique irlandaise en réaction à l’oppresseur anglais, de la main de ces jeunes aristocrates anglo-irlandais qui se veulent proche du peuple et aussi « pur » que lui. La mythologie celtique se construit par un travail poétique sur le romantisme d’un folklore idéalisé par Yeats, auquel répond le réalisme cru du théâtre de JM Synge, que Yeats produit. Le combat pour l’indépendance passe par une union identitaire, pour lequel l’aristocatie protestante entend rejoindre le peuple catholique en une identification à un même temps de paix et de prospérité : l’Irlande celtique que l’invasion anglaise a défait.
Cela permet à ces poètes d’œuvrer à l’édification de la Nation idéale sans toucher à la vulgarité de la politique, des discours et des rassemblements.

C’est pourtant ce qui semble seul à Constance pouvoir apaiser sa douleur face à l’injustice. Sa deuxiéme vie commence lorsque la résistance culturelle ne lui suffit plus. Dotée d’une santé et d’une énergie hors du commun, elle a soif d’action, au service de ceux qui vivent opprimés et impuissants. Elle s’éveille soudainement à la politique, se donne entière à la révolution, et devient pour l’Histoire la Comtesse Rouge. Sa demeure bourgeoise devient Commune, sa fille est délaissée, son mari rentre en Pologne pour combattre l’envahisseur russe, leurs idéaux sont opposés. Entre soupes populaires et création de mouvements féminins, elle arrache sa place à leurs côtés aux hommes qui vont écrire l’Histoire : Griffith, Hobson, Clarke, Mc Neill, Pearse, Kettle, Connolly, Casement, Larkin, Plukett... Figure emblématique du soulèvement de 1916, auquel elle participe arme à la main au sein de l’équipe de commandement, elle est jetée en prison à plusieurs reprises. Sa condition de femme la sauve des exécutions punitives après la révolte, comme Eamon De Valera n’est pas exécuté parce qu’il est né aux Etats-Unis.
Tous deux poursuivent alors l’oeuvre du combat pour l’indépendance et la République. Constance devient la première femme élue au Parlement Britannique, puis ministre du Travail du gouvernement révolutionnaire irlandais. A cette époque, seule l’URSS a vu accéder une femme à une fonction gouvernementale, mais elle a été nommée, pas élue au suffrage universel.

Constance incarne enfin la branche radicale, farouchement opposée au compromis avec les anglais (Home Rule ou Partition et allégiance à la Couronne britannique en échange de l’autonomie), appuyée sur un nationalisme protecteur contre l’oppresseur (le premier Sinn Feinn, qui méprise ses origines aristocrates), un socialisme intransigeant qui veut la fin des opprimés.
Autant de valeurs que De Valera stoppe dans leur course, triomphant de la guerre civile qui décime les rangs républicains (Michael Collins). Avec le soutien de l’Eglise catholique, à laquelle Constance s’est pourtant convertie en prison, l’Irlande libre (Free State) impose un ordre d’inspiration chrétienne, nouvelle force de son identité, qui deviendra au cours du Xxéme siècle un conservatisme strict ne tolérant guère de liberté, surtout artistique ou de moeurs, et certainement pas celle des femmes reléguées aux bans de la société.

Constance Markievicz reste la « Madame » que les plus pauvres continuent à aimer et respecter pour l’aide qu’elle ne cesse de leur apporter. Renouant avec sa fille et son mari, elle vieillit dans le dénuement et meurt en 1927. Elle est à jamais une figure majeure de l'Histoire irlandaise et, quoique méconnue, de l'Histoire des femmes et de leur "libération".
La force et les excès de son engagement rappellent que le socialisme a œuvré à transformer durablement les sociétés, et prend racine dans l’idéalisme et l’utopie, l’anarchisme et le communisme, le courage et la tenacité, qui chacun à leur mesure peuvent encore nous inspirer aujourd’hui, alors que tout nous pousse à changer, pour le meilleur, à nouveau.



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See also :
Constance Markievicz (nee Gore-Booth) and the Easter Rising (Sligo Heritage)

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1 commentaire:

Anonyme a dit…

Nuala O'Faolain, dans son dernier livre, "L"histoire de Chicago May", parle de cette femme.