dimanche 14 octobre 2007

ADN et codéveloppement - Contribution

Danielle rentre de deux années passées au Niger. Point de vue d'une professionnelle du codéveloppement sur l'actualité de la "gestion de l'immigration".


Un point sur le codéveloppement

A l’heure où la nouvelle loi sur l’immigration et l’amendement Mariani – qui prévoit l’usage de tests ADN pour le regroupement familial - sont ardemment débattus, le débat sur l’immigration, l’intégration et l’asile est relancé de façon abrupte.
L’utilisation de l’ADN comme moyen de vérification des liens de parenté dans le cadre d’une demande de regroupement familial, constitue, au-delà de son caractère plus que critiquable sur le plan éthique, un moyen qui évince la réflexion, infiniment plus humaine et complexe sur les raisons et les mécanismes qui sont à l’origine des mouvements de population.
Dès lors, il est nécessaire de s’interroger sur les propositions et les initiatives qui mettent au centre de leur réflexion les causes des migrations et notamment la volonté des migrants (ou la nécessité ?) de quitter (pour des raisons économiques, politiques, …) leur pays d’origine.

Bien que les parcours des migrants s’inscrivent dans des logiques variées, la France, et l’Europe, de manière générale, apportent à la pression migratoire une réponse essentiellement sécuritaire. De fait, cette réponse est insuffisante car elle n’agit pas sur les causes profondes de la pression migratoire. Dès lors vient que la gestion des flux migratoires pousse à considérer la question du développement des pays d’origine des migrants.

Considéré à la fois comme un outil de développement et comme un instrument de régulation des flux migratoires, le codéveloppement est désormais au centre des débats en France.

Le codéveloppement désigne traditionnellement les actions des migrants au profit de leur pays d’origine. L’appui à ce type d’actions par les autorités françaises a été formalisé par la création de la mission interministérielle sur le codéveloppement, à la fin des années 1990. Le codéveloppement vise avant tout le continent africain, ce en raison de l’idée que la pression démographique du continent pourrait faire croître de manière significative l’émigration vers la France. Or, si l’on part de l’idée que l’émigration est la conséquence d’un « mal-développement » de l’Afrique, dès lors, la question des migrations rejoint celles des questions de développement.

Si le terme de co-développement s’est « popularisé », notamment lors de la campagne présidentielle en France, son utilisation ne recouvre pas toujours la même signification. Il est tour à tour entendu comme une forme de partenariat, de développement concerté avec les pays bénéficiaires, comme le point de rencontre et d’articulation entre les politiques de développement et les politiques de gestion des flux migratoires, voire comme une forme plus humaine d’accompagnement des retours de migrants dans leur pays d’origine.

Si l’appropriation de ce terme, par les politiques des pays d’immigration et d’émigration est certaine, les ambiguïtés concernant le sens et le contenu des politiques qui s’y réfèrent sont nombreuses, et il est donc nécessaire d’apporter des clarifications.
Dans sa version originelle, le co-développement s’appuie sur le constat de la forte mobilisation des migrants en faveur de leur pays d’origine. Développée dans les années 1960, cette mobilisation s’est progressivement structurée dans les années 1970 et 1980 avec l’appui d’organisations non gouvernementales.

Bien que l’on estime à plusieurs milliards d’euros annuels les montants ainsi transférés, ces flux sont très mal connus en raison de la part importante du secteur informel et de la faiblesse des appareils statistiques locaux. Toutefois, les évaluations de la Banque Mondiale indiquent qu'au niveau global, les transferts de fonds des migrants officiellement enregistrés ont atteint 199 milliards de dollars en 2005, sans compter les transactions informelles qui atteignent environ 50 % de cette somme. Soit une manne avoisinant les 300 milliards de dollars.
Par ces transferts, les migrants sont indéniablement des acteurs du développement de leur pays d’origine. Les réalisations dans les régions d’origine, parfois délaissées par leur Etat, sont visibles : équipements collectifs, soins médicaux et scolarisation des enfants sont largement financés par l’argent des migrants. Toutefois, ces transferts sont majoritairement destinés à la consommation privée des familles restées au pays et sont très faiblement tournés vers l’investissement.

Ce constat pose très clairement la question de la mobilisation de cette ressource comme part substantielle du financement du développement, et celle de la volonté réelle des gouvernements de ces pays à décourager cette immigration « rentable ».
Il questionne également le rôle à jouer par les bailleurs bilatéraux et internationaux, dont l’objectif est de favoriser ces transferts et de les soutenir par des co-financements afin de mieux les structurer et de mieux les orienter.

Jacques Ould-Aoudia, président de Migrations & Développement, considère le concept de co-développement dans une perspective d’action locale menée par des migrants et montre que, “aux côtés de l’aide publique au développement menée par les états et les organisations internationales, il existe un champ encore peu investi par les politiques d’aide qui concerne le développement local à dimension participative, prenant appui sur les logiques territoriales”. Selon la même logique, il propose aussi d’ “inverser la logique des bailleurs au Nord: non pas procéder par des appels d’offre selon des agendas élaborés au Nord loin des populations ‘bénéficiaires’, mais répondre aux propositions élaborées par les populations et les migrants”.

Le CCFD, Comité Catholique contre la Faim et pour le Développement, rappelle que « le co-développement repose sur la capacité des migrants à circuler, à maîtriser à la fois le contexte de leur pays d'origine et les possibilités d'accéder aux ressources de leur pays d'accueil ».
Il implique donc
• les associations de migrants aujourd'hui désignées par la catégorie d'OSIM (les organisations de solidarité issues de l'immigration), qui aspirent parfois à jouer un rôle de transformation sociale de leur société d'origine ;
• les organisations du village, de la région, du pays d'origine pour orienter les ressources vers les besoins de développement ;
• les collectivités territoriales des pays de départ qui souhaitent contribuer à la définiion des objectifs de développement portées par les associations de migrants ;
• les associations du pays d'accueil capables de fournir un appui en termes de financements, de formation, de renforcement des capacités d'organisation, de formalisation d'un projet de développement ;
• les collectivités territoriales et les pouvoirs publics du pays d'accueil engagés dans cette forme de «jumelage» solidaire ;
• enfin, les institutions du pays d'accueil.

Constituant à la fois un nouvel outil de la solidarité internationale et un moyen d’intégration dans le pays d’accueil par la reconnaissance aux populations immigrées de leur rôle dans le développement de leur région d’origine, le co-développement, qui a pour spécificité de mobiliser “un éventail diversifié de canaux et un nombre élevé d’acteurs”, doit être soutenu par des politiques menées selon des approchés spécifiques et ne doivent, en aucun cas, constituer un ensemble uniforme.

Hélas, force est de constater que tous les acteurs concernés sont loin de partager cette conception du codéveloppement. Dans une communication le premier juin au quotidien français du 1er juin 2007, Brice Hortefeux, nouveau ministre de l’Immigration, de l’Intégration, de l’Identité nationale et du Codéveloppement, présente ce qu’il entend par "codéveloppement". Selon lui, il s’agit de "donner aux États du Sud et à leurs ressortissants les moyens d’avoir confiance en eux-mêmes et de construire un avenir en dehors de l’émigration".

Si l’objectif semble louable, les moyens, eux, sont discutables. Concrètement, M. Hortefeux propose deux mesures :
- Assurer une meilleure allocation des transferts de fonds des migrants en France vers leur pays d’origine
- Renforcer l’aide au retour volontaire

Au vu de ces mesures, la volonté d’agir sur les causes de l’immigration en devient moins crédible. En effet, au vu de ces propositions, il n’est pas question d’augmenter le montant de l’aide au développement, mais bien plutôt d’imposer une utilisation des fonds transférés et de renvoyer chez eux ceux dont la présence sur le sol français est désormais jugée indésirable. De surcroît, la politique d’aide au retour volontaire, loin d’avoir fait ses preuves, suscite des tensions et suspicions réciproques, et des interrogations sur la frontière entre certaines formes d’encouragement (financières le plus souvent) et la contrainte pure et simple. Ce qui peut renforcer le sentiment souvent éprouvé par les étrangers, que, derrière les discours sur la coopération ou le développement, se cache la volonté de les voir partir.

A ce titre, le CCFD rappelle que « l'expérience montre que le co-développement ne remplace pas l'émigration. Il est illusoire de penser qu'il suffit de financer des projets au bénéfice des migrants, ou des candidats à l'émigration, pour tarir ou inverser les flux migratoires. Même s'il est fondamental d'offrir de leur alternative crédible, les facteurs qui favorisent la migratoire sont bien plus nombreux. La migration favorise le développement et le développement stimule la mobilité. Il est donc d'autant moins acceptable que le développement serve à « compenser » une politique anti-migratoire et répressive ».

Enfin, il y a lieu de s’interroger sur l’allocation de l’aide publique au développement - qui loin d’être répartie en fonction de critères purement objectifs et démontrant une réelle volonté de freiner les flux migratoires issus des pays où les actions de développement ont le plus besoin d’être soutenues - semble plus dictée par des intérêts géopolitiques peu médiatisés. Un exemple : il y a en France dix fois plus de Maliens que de Gabonais, mais le Gabon du président Omar Bongo reçoit par habitant dix fois plus d’aide que le Mali…

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