dimanche 27 mai 2007

Post-Mortem Analysis

The Irish Times, quotidien de reference, n'a pas peur de ses opinions (farouchement anti-Bertie), et donne ce weekend son analyse "post-mortem" des elections. Ce qui a valu a Fintan O'Toole, journaliste vedette tres Labour, d'etre violemment pris a parti par un autre journaliste, tres Fianna Fail. Bertie lui-meme s'etait deja plaint sur RTE jeudi soir que certains journalistes livraient les articles qui leur etaient commandes par ceux qui payaient leurs salaires, et que cela etait comprehensible (magnanime) meme s'il etait mal d'induire les electeurs en erreur (victime, c'est a cause des journalistes s'il n'a qu'une courte majorite).
Point de menace sur la liberte d'expression, je vous rassure. Les journalistes irlandais sont une caste a part, avec la langue bien pendue, qui ne craignent ni Bertie, ni Bush, ni personne et ne se genent pas pour les pousser dans leurs retranchements, sans notion de sensationalisme, mais pour le plus grand benefice de la democratie. Leur verve, leur sens critique et leur humour sont pour grande partie dans le succes de ces journees d'elections generales, un moment fort dans la vie politique irlandaise, un exercice fascinant de la democratie et un spectacle passionant qui n'est pas encore tout a fait fini.

Les resultats sont connus depuis hier soir, tous les sieges sont pourvus. Des recomtages ont lieu dans certaines circonscriptions a la demande de candidats mais le resultat ne devrait pas varier :
Fianna Fail 78 sieges (-3)
Fine Gael 51 sieges (+20)
Labour 20 (=)
Greens 6 (=)
Divers Independants 5 (-9)
Sinn Fein 4 (-1)
Progressive Democrats 2 (-6)
Socialists 0 (-1)

Deception pour les parties de gauche, Labour, Greens et Sinn Fein qui n’ont pas gagne de sieges ou en ont perdu au profit des deux grands partis de droite, essentiellement Fine Gael.

La surprise vient du degre de popularite du Premier Ministre Bertie Ahern. Les affaires d’argent, les collusions entre lui-meme et le monde de l’entreprise, les conflits d’interet flagrants entre ceux qui ont aide Bertie en tant qu’ami et le pouvoir de remerciement (largement utilise) entre les mains du Premier Ministre n’ont pas entache le formidable charisme ni de l’un ni de l’autre aux yeux des electeurs. Ce charisme a un cout : les quelques milliers d’euros depenses en maquillage chaque mois pour paraitre frais et sympathique, et les cours de comedie recus par des profs de renom. Mais peu importe, les irlandais qui en ont our leur argent ont decide qu’il fallait donner a Bertie la possibilite de continuer le travail accompli, et le benefice du doute sur sa volonte de repondre au mecontentement largement exprime via les sondages par un assainissement de ses pratiques politiques, comme Sarkozy beneficie d’un incroyable etat de grace, comme si son accession a la Presidence en avait fait un homme nouveau.

  • Une strategie irreprochable ou rien n’est laisse au hasard

Il faut admirer le talent de Fianna Fail, la Bertie’s Team, comme celui de l’UMP, qui fonctionnent comme de veritable armees electorales, bien huilees, impeccables, reglees comme des horloges. Dans les moments strategiques, rien n’est laisse au hasard, tout est pense, calcule, anticipe, et chaque echeance electorale a suivre quel que soit le mandat est preparee des le premier jour de l’election.

Les systeme electoral irlandais est ainsi fait que plusieurs candidats de chaque grands partis sont proposes aux electeurs dans l’espoir de rafler le plus de sieges possible parmi ceux disponibles dans la circonscription. Fondamentaux du marketing: plus le produit est vieux, plus il faut soigner l’emballage et connaitre son client.
A Waterford les candidats Fianna Fail proposes ont obtenu des scores tenant du genie arythmetique : le Ministre des Transport Martin Cullen au bilan epouvantable, corruption et affaire d’emploi fictif contre faveurs intimes pour la Directrice de la Chambre de Commerce compris, est elu au premier vote avec 11 438 voix.
Dans le comte de Carlow-Kilkenny, les deux candidats FF elus au premier vote obtiennent respectivement 11 535 et 11 600 voix. Du grand art !

Fianna Fail s’est egalement revele, a l’instar de Bertie, une machine geniale en terme de communication.
L’un des candidats FF a Waterford n’avait aucune chance, mais sa presence dans la campagne n’avait pour but que de voler des voix au Fine Gael, et monopoliser l’attention : promettre l’impossible ou le ridicule comme un stade de jeux gaelique deux fois plus grand au lendemain d’une victoire historique de l’equipe locale, jeux-concours dont la reponse etait le nom des deux candidats favoris pour gagner des billets au plus grand festival de musique de l’ete. Populiste... populaire.

A une semaine du scrutin, le Fianna Fail etait largement perdant. C’etait plie, pensaient ceux qui oubliaient que Bertie prenait son temps. Lors du debat televise entre Bertie et Enda Kenny – Fine Gael, le Premier Ministre s’est montre offensif, il a noye son adversaire, qui n’avait pas grand chose a offrir a part une politique propre et une surenchere sur les moyens engages pour continuer une politique similaire, de chiffres et statistiques gouvernementales. Enda, pris au depourvu, croyant avoir la main, s’est montre faible et manquant d’experience, naif. Le debat etait perdu.
Un sondage suit, donant Fianna Fail gagnant
avec un score abracadabrantesque, plus de 40% contre 32% quelques jours auparavant.
Dans la foulee, la Directrice de la Chambre de Commerce de Waterford obtient gain de cause dans son proces face a RTE Radio, qui avait laisse un auditeur un apres-midi de l’an 2005, entacher son honneur en insinuant que son emploi douteux et son salaire faramieux accordes par le Ministre des Transports l’avaient ete contre faveurs intimes. L’honneur du candidat FF principal a Waterford et ministre particulierement incompetent et controverse, etait lave, a point nomme.
Depuis plusieurs semaines, les Progressive Democrats, que les sondages intensifs donnaient largement perdants, etaient ceux qui entreprenaient la repetitive tache de demolir la coalition « de gauche » et de faire planer sur le pays la menace d’un recul economique, et le retour a la recession. Une rumeur a couru qu’ils etaient aussi ceux qui ont relance au dernier moment une polemique sur les finances personnelles de Bertie. Fouttu pour fouttu ils semblent vouloir sauver leur peau a tout prix en enfoncant leur allie politique : non seulement ses adversaires mais ses allies lui en veulent. Operation victimisation de Bertie reussie. Il faut sauver le soldat Ahern offense et humilie.
La veille du scrutin, la crise des infirmieres sans espoir d’accord trouve une issue favorable, contre toute attente un accord est signe, la greve stoppee sans conditions. Bertie le negociateur est-il passe par la ? Je ne sais toujours pas ce qui a pris aux infirmieres et leurs syndicats, qui cette fois semblaient tenir le bon bout de la contestation. Peur de s’aliener le vainqueur probable de l’election ?
Enfin, le jour-meme du scrutin, un sondage est publie ! C’est tout aussi interdit en Irlande qu’en France, mais puisque FF avait rafle la mise, autant donner son score immediatement... Une grande partie des electeurs se sont decides au dernier moment, le Labour denonce le rythme et la teneur des sondages.

Le timing impeccable integre egalement la programmation des elections au dernier moment, le plus favorable, juste apres la conclusion historique du processus de paix en Irlande du Nord, pour une poussee maximum du facteur sympathie en faveur du premier Taoiseach a s’adresser a l’Assemblee de Stormont nouvellement elue (Irlande du Nord) ET a la Chambre des Communes a Westminster cote a cote avec Tony Blair, scellant la paix definitive au Nord, permettant la pleine collaboration entre Irlande du Nord et Republique d’Irlande, et ouvrant la voie a une amitie nouvelle avec l’ennemi mortel d’hier, la mission originelle que Fianna Fail s’etait fixe.

  • « Je vote pour ceux qui m’ont donne un travail »

Les irlandais ont vote pour l’homme fort et sur de lui, de son experience, au bilan personnel contestable mais aux resultats economiques encourageants pour la garantie du bien-etre individuel, dans un pays ou le souvenir de la souffrance d’une Nation en declin est encore vif.
Au vu du faible niveau de chomage, il existe peu de considerations pour les rythmes et conditions de travail – la notion d’effort prime dans un pays ou l’imense majorite de la population a encore un souvenir personnel de la pauvrete. Le Fianna Fail est celui qui a engage les reformes economiques vitales dans les annees 60 et 70 alors que le pays se depeuplait dangereusement. Il est le parti qui sait ce qu’il fait en economie, peu importe les quelques dommages collateraux, on ne fait pas d’omelettes sans casser d’oeufs.
La generation qui domine les elections est celle des jeunes cadres et entrepreneurs dynamiques, qui dictent leur loi, celle du marche et du profit faiblement taxe.

  • Aucune chance pour la gauche et reactions

Donner des voix au Labour ayant annonce qu’il ne collaborerait pas avec Fianna Fail aurait ete soit provoquer la formation d’un gouvernement mal equilibree ou une crise gouvernementale avec la necessite de nouvelles elections pour degager une majorite.

Classes moyennes et populaires se rejoignent en masse sur la preoccupation par rapport a l’etat des services publics, l’etat scandaleux des ecoles ou des hopitaux, la difficulte a faire face aux couts de la sante et l’education, mais ils ont aussi « une belle voiture devant la maison et de jolies vacances au soleil a l’horizon, et Bertie Ahern et la garantie que cela va continuer » ainsi que l’a fait remarque un journaliste a Pat Rabitte (Labour) le soir du scrutin.

Gerry Adams, parlant pour le Sinn Fein au soir du scrutin s’est montre etonnament realiste: « C’est un resultat democratique, je ne concois pas que les electeurs n’aient pas reflechi a leur choix, il faut le repecter, notre recul signifie quelque chose, maintenir FF malgre la demande pour des services publics finances par l’argent public et les accusations de corruption signifie quelque chose. Nous recevons la une lecon. Nous allons aprendre. Fianna Fail offre quelque chose que les electeurs apprecient, il nous faut nous adapter. Le journaliste, perplexe : Gerry, vous avez perdu, vous n’avez pas gagne de sieges malgre les attentes, est-ce que vous n’etes pas decu tout de meme ? Bien sur nous sommes decus, mais c’est la democratie. Nous avons deja pedu des elections, j’ai perdu mon siege a Belfast par le passe, je l’ai regagne, Fianna Fail a perdu des sieges et les a regagne, c’est ainsi que se passe la vie politique. Il nous faut travailler, apprendre, et nous adapter, en pensant au futur. »
Bien sur la jeune candidate la plus prometteuse du Sinn Fein qui a perdu son siege etait bien moins enthousiaste, mais il est a noter que, comme Segolene Royal l’a fait au soir du 6 Mai, Gerry Adams est apparu tres vite a la tele, avec le sourire, pour donner un message d’espoir a tous les Republicains qui suivent le Sinn Fein, et tous les gens de gauche qui ne sont pas encore prets a lui faire confiance. La prestation etait largement positive, et le message recu : nous sommes la, ni triomphalistes ni defaitistes, nous continuons le travail de profonde reformation de notre parti et de notre base ideologique commence en Irlande du Nord, nous apprenons la nouvelle donne politique de ce pays, et nous nous preparons a y jouer un role majeur, apres avoir observe chez nos adversaires ce qui a su seduire les electeurs.

Pat Rabitte, leader du Labour, a souligne que tout s’est joue la derniere semaine, et comment la signification d’un vote pour le changement etait passe de la notion de « progres » a celle de « risque », grace / a cause du travail a l’argumentation certes creuse et repetitive mais terriblement efficace des Progressive Democrats.
Le labour, vu le contexte, n’a pas demerite. Pour moi leur slogan etait tout simplement nul : « Mais etes-vous heureux ? ». Comme un truc sorti a la va vite sans qu’on ait eu le temps d’y reflechir. Pas assez incisif. Pas assez agressif. C’est une tradition pour le Labour de ne se preoccuper que des classes moyennes ce qui a mons avis est maladroit car cela leur leve toute originalite. Je n’ai pas ete convaincue par leur campagne mais dans un pays essentiellement preoccupe par l’argent gagne et rendu a l’Etat, ou la classe ouvriere a les memes preoccupations que la classe moyenne : en avoir pour son argent, et ou le petit nombre de vrais pauvres est ignore et inaudible, ils ne pouvaient faire guere mieux.

Le problemes des Greens, comme pour les Verts, c’est que leur parti parait encore trop brouillon, et tous les autres partis ont endosse la problematique environnementale, meme si aucun ne l’a mise au coeur du debat et n’en fait une priorite. Pour les electeurs c’est entendu : il faut s’occuper du climat, pour les partis aussi. Comme en France ils se sont vu couper l’herbe sous le pied alors que leur slogan etait « Il est temps Maintenant » sous entendu «notre heure est arrivee ». Pressentis pour etre appeles a negocier avec Bertie pour la formation d’un gouvernement, ils obtiendraient vraisemblablement les secteurs hyper sensibles de l’environnement, l’amenagement du territoire et les transorts. N’y croyant pas une seconde pour ma part, je ne suis pas etonnee de voir Bertie annoncer aujourd’hui qu’il demandera en priorite aux 2 Progressive Democrats et les quelques Independants de droite de former une petite majorite avec Fianna Fail.

  • Conclusion

Comme en France, les deux grands partis ont rafle la majeure partie des votes, ne laissant que des miettes au petits partis, les electeurs etant a la recherche d’une majorite forte pour un gouvernement de la stabilite. Les electeurs se sont mobilises massivement en faveur du changement, mais ceux de la continuite ont su le faire aussi pour les contrer.

Le score du Fine Gael (droite, alternative du changement) est remarquable. Encore une fois, a l’instar de Segolene Royal, malgre la defaite alors que tous les parametres et sondages etaient en leur faveur, ils accueillent favorablement la confiance qu’a su leur accorder une part nettement croissante des electeurs. Retenant le message envoye par ceux-ci, Enda Kenny, leader, presente lui aussi un visage souriant et confiant en l’avenir, afin de remercier ceux qui lui ont donne leur voix, et leur promettre qu’elle serait entendu sur la scene politique a la faveur du poids accru de son parti.

Pourtant le contexte n’est guere different : homis la menace totalisante, l’election de Bertie, bien moins dangeureux que Sarkozy pour les libertes et la cohesion de la nation, n’en est pas moins une catastrophe sociale, environnementale, et malgre le « succes » des faiseurs d’argent, economique. Le travail de defense des laisses pour compte devient mission impossible. La lutte au quotidien des classes populaires comme moyennes qui vivent une calculatrice a la main pour payer leurs taxes et factures sans voir aucun retour sur investissement en terme de services elementaires de sante, education, transport ou de politique ferme de protection de l’environnement, ne fait que continuer, et elle devient epuisante.

Travailler beaucoup pour pouvoir depenser un peu: la societe de la liberte de faire des heures sup defiscalisees est en ordre de marche.


See all about The Irish Elections 2007 on Wikipedia and The Irish Times for all results and analysis

4 commentaires:

Anonyme a dit…

Je te "pique" les résultats pour faire un "copier-coller" sur le post-it de mon blog car là c'est clair, net et précis !!

Sandrine a dit…
Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.
Sandrine a dit…

Pas de probleme, ceux qui veulent piquer, piquent, c'est la pour ca. Merci de le mentionner, la courtoisie fait les bons amis :).

Anonyme a dit…

Evidemment !!